Cela fait maintenant six ans que la Syrie est en guerre, causant plus de 7 millions de déplacés dans le pays, plus de 5 millions de réfugiés et au moins 270 000 morts. Cette crise a précipité des millions de personnes sur la route de l’émigration vers les pays voisins de la Syrie : le Liban, la Jordanie, la Turquie, mais aussi l’Irak (que nous n’avons pas étudié dans ce travail). Ces pays, aux contextes économiques et politiques fragiles, sont les premiers impactés par la crise syrienne et ont démontré un véritable élan de solidarité, de générosité et d’humanité en accueillant sur leur territoire des millions de familles désœuvrées. Au Liban, en Jordanie et en Turquie on retrouve une absence de politique claire sur le statut des réfugiés et la volonté de ne pas être considéré comme un pays d’asile pour ces populations. Pourtant face à la crise, tous ont maintenu des frontières ouvertes et ont mis en place des mesures pour protéger ces personnes.
Le Liban, où quasiment un habitant sur quatre est un réfugié syrien, se caractérise par une action municipale forte face à un pouvoir étatique fragile. C’est au cœur des municipalités que se forme la réponse à l’arrivée des réfugiés syriens. Le gouvernement s’est d’ailleurs retiré des questions sur l’accueil des réfugiés dès lors qu’il a décidé de ne pas ouvrir d’hébergements spécifiques pour ces derniers. En effet, l’ouverture de camps aurait certainement nécessité la mise en place d’une gestion étatique de ces espaces. Les municipalités libanaises sont donc quelque peu livrées à elles-mêmes pour gérer l’afflux de réfugiés s’installant au sein même de leurs villes. Certaines ont décidé de tirer parti de cette population pour redynamiser leur économie et bénéficier des aides et subventions internationales. D’autres ont fait le choix de protéger leur territoire en limitant un maximum l’installation des réfugiés. Les conditions de vie des réfugiés au Liban sont très difficiles, le pays a peu de ressource à partager avec cette population et le fait que ces derniers soient dispersés sur le territoire ne facilite pas l’acheminement de l’aide qui leur est destinée.
La Jordanie a quant à elle aménagé plusieurs camps de réfugiés sur son territoire qu’elle a laissés sous la direction du HCR. Le camp de Zaatari, plus grand camp de réfugiés au monde, est le symbole de la politique d’accueil des réfugiés en Jordanie. Ces camps sont réputés pour avoir des conditions de vie particulièrement difficiles (plus difficile encore que les quelques camps de réfugiés du Liban installés durant l’exode des Palestiniens). La Jordanie comme le Liban est très dépendante de l’aide internationale et compte pour beaucoup sur le HCR pour réguler cette crise migratoire. Les municipalités font face à de nombreux problèmes notamment sur la gestion de l’eau et des déchets. Le niveau de vie des Jordaniens a fortement été impacté avec une paupérisation croissante qui inquiète les autorités et attise les tensions communautaires.
La Turquie était bien préparée à gérer cette situation d’urgence, elle a montré une vraie efficacité et rapidité pour accueillir les Syriens dans le plus grand dénuement. Elle a rapidement développé plusieurs camps d’accueil qu’elle a tenu à gérer sans aide extérieure. Il faut souligner que les ressources économiques de la Turquie sont bien plus importantes qu’au Liban ou en Jordanie ce qui explique en partie que le pays n’a pas eu besoin de l’aide internationale. Ces camps ont (comparativement au Liban ou à la Jordanie) de bonnes conditions d’hébergement et proposent souvent de nombreux services (écoles, centre de soin, formations professionnelles, etc.). Les municipalités turques sont dotées de bonnes capacités de gouvernance locale et ont réussi à limiter les impacts négatifs de cet afflux de réfugiés envers la population locale.
Cependant, plus les années passent, plus la situation devient difficile à gérer pour ces trois pays qui atteignent leurs limites (financières, d’infrastructures, d’équipement, de services, etc.). La situation pèse sur la population locale qui voit son niveau de vie baisser et malgré une culture de l’accueil très importante au Moyen-Orient, des tensions commencent à apparaitre dans chacun de ces trois pays contre les réfugiés syriens. Le Liban, la Jordanie et la Turquie ainsi que, bien souvent, les réfugiés syriens eux-mêmes souhaitent la réinstallation des réfugiés dans leur pays d’origine. Pour ce faire, il est primordial d’arriver à stopper les combats et à rétablir la paix en Syrie. Il semble évident que les trois pays étudiés ne peuvent absorber le flux de réfugiés indéfiniment. Ils ont besoin de l’aide internationale pour réinstaller les réfugiés dans leur pays d’origine ou dans d’autres pays développés qui seront en capacité de les intégrer à leur nation. Il existe aujourd’hui une véritable problématique de collaboration entre les pays pour venir en aide aux réfugiés de toutes nationalités. L’Europe, comme beaucoup de pays du monde, ferme de plus en plus ses frontières et multiplie les mesures pour maintenir à distance les réfugiés (accord UE-Turquie, règlement de Dublin …) à un moment où la collaboration et le partage de l’effort sont plus que nécessaires pour sortir de cette crise et venir en aide à ces milliers de réfugiés syriens.
Conclusion
Leçons à tirer pour l'urbanisme
La question de l’accueil de réfugiés est un enjeu majeur pour tous les pays du monde et pas seulement les pays du Nord. Les conflits armés, les catastrophes naturelles, le réchauffement climatique ou la pauvreté sont autant de raisons qui forcent aujourd’hui beaucoup d’individus à fuir leur pays. Il devient donc primordial de trouver des solutions pour accueillir ces personnes, beaucoup de secteurs d’activités sont concernés notamment l’urbanisme.
Les urbanistes de demain devront penser et aménager des espaces de vie pour les réfugiés, ils devront réfléchir aux moyens de les intégrer au mieux dans leurs sociétés d’accueil et aider les municipalités à gérer ce nouveau flux de population. Ce nouveau besoin demande de nouvelles compétences, l’étude des mouvements de migrations, de la formation des campements informels, de la gestion des camps légaux, du droit international pour les réfugiés ... doit être intégrée à la formation universitaire pour que les futurs professionnels de l’aménagement aient les connaissances nécessaires pour ne pas reproduire les erreurs du passé.
L’étude des modes de gestion des réfugiés au Liban, en Jordanie et en Turquie met en évidence que l’accueil des réfugiés est souvent considéré par les états comme une situation provisoire. Pourtant, les réfugiés sont nombreux à ne pas vouloir, ou pouvoir, rentrer dans leur pays d’origine. Il parait nécessaire d’élaborer des systèmes d’accueil, autant à l’échelle nationale que locale, qui ne soient pas uniquement temporaires, mais qui s’inscrivent réellement sur la durée. Dans les collectivités territoriales, comme dans les hautes instances étatiques, les urbanistes peuvent collaborer avec les autorités et participer à faire avancer la réflexion sur l’accueil des réfugiés.
L’aménagement de camps d’accueil est une vraie problématique urbaine. Ces camps, à cause de leur caractère provisoire, n’offrent pas de bonnes conditions de vie. Beaucoup de camps de réfugiés deviennent au fil des années de véritables petites villes et font face à des problématiques urbaines telles que la gestion de l’eau, des déchets, des infrastructures et équipements, etc. De plus, ils ne peuvent pas s’adapter facilement à un nombre variable d’individus, ils sont souvent peu modulables et circonscrits dans l’espace, leur capacité d’accueil est donc limitée et oblige une partie des réfugiés à s’installer dans les villes. Les camps sont très dépendants de l’aide humanitaire qui peut se retirer à tout moment. Les urbanistes ont un vrai rôle à jouer dans l’aménagement et la gestion de ces camps, ils peuvent notamment participer à la mise en place d’une gouvernance locale en développant la participation des réfugiés, en leur fournissant les connaissances nécessaires pour organiser une autogestion des camps. Cela leur permettrait de s’approprier l’espace, de contrôler leur lieu de vie et de ne pas subir les évènements extérieurs sans pouvoir. C’est aussi le rôle de l’urbaniste de concevoir des espaces de vie meilleurs et les camps de réfugiés n’y échappent pas, les professionnels doivent réfléchir à des modèles habitations pour ces personnes et ne pas laisser ces espaces devenir des bidonvilles.
La place des réfugiés dans nos villes, les espaces que nous allons leur réserver et la façon dont nous allons aménager ces espaces, pour qu’ils puissent offrir de bonnes conditions de vie et s’adapter au nombre variable d’arrivées, sont de véritables enjeux pour les urbanistes. Aujourd’hui, il paraît primordial de réfléchir au niveau mondial à des systèmes d’accueils permanents, basés sur l’entraide et la coopération internationale, en vue de se préparer à l’accueil croissant des réfugiés de guerre, mais également des réfugiés climatiques à venir.