Politique municipale de gestion des réfugiés syriens au Liban
Suite à l’expérience d’accueil des réfugiés palestiniens, le Liban a choisi de ne pas créer de nouveaux camps temporaires de réfugiés syriens de peur que ces camps deviennent des installations permanentes. Il existe sur le territoire quelques camps de réfugiés, gérés au niveau étatique et créés au moment de l’exode palestinien, dans lesquels les Syriens ont pu parfois trouver refuge, mais où les conditions de vie sont particulièrement difficiles à cause de l’affluence croissante des réfugiés. Les Syriens sont en majorité contraints de s’installer au cœur des villes et de la communauté libanaise. Ce choix est lourd de conséquences pour les municipalités locales qui doivent directement gérer l’arrivée et l’installation de cette nouvelle population. De plus, comme on l’a vu dans la politique nationale du Liban, le gouvernement central est en retrait sur cet enjeu, la législation est peu précise et souligne que le pays ne souhaite pas s’impliquer dans la gestion de ces flux migratoires.
Processus de décentralisation des municipalités libanaises
L’organisation des municipalités au Liban est caractérisée par le modèle de la décentralisation c’est-à-dire par un transfert de compétences appartenant à l’État vers les collectivités territoriales. L’organisation décentralisée libanaise se compose d’environ un millier de municipalités. Cette organisation est régie par la loi de 1977, où les municipalités sont définies comme « une administration locale, qui exerce sur son territoire les prérogatives accordées par la loi, dotée d’une personnalité morale et jouissant d’une autonomie financière et administrative ». Le pouvoir exécutif est représenté par le maire et le pouvoir décisionnaire par le Conseil Municipal. Les compétences du Conseil Municipal regroupent de larges domaines, tant sur le budget local et la détermination des taux des taxes municipales, que sur l’urbanisme, la solidarité locale ou encore de la gestion des écoles publiques (Salah L. & Montesinos S., 2017).
Diversité des modes de gestion dans les municipalités
Les modes de gestion de la crise des réfugiés syriens au Liban varient d’une municipalité à une autre et dépendent pour beaucoup de la volonté du maire de s’investir ou non dans l’accueil des réfugiés. Si la plupart des municipalités ont suivi le choix du gouvernement de ne pas faire de camp, certaines municipalités ont permis leur création comme dans la ville Al-Marj ou Bar Elias qui sont particulièrement actives dans l’accueil des réfugiés. Ces campements ne sont officiellement pas autorisés par le gouvernement, mais celui-ci n’intervient pas. Ces communes bénéficient ainsi des aides internationales qui ont notamment permis de créer une nouvelle école à Bar Elias. En effet, l’installation d’un campement permet de capter une partie des aides internationales destinées aux réfugiés syriens ce qui est beaucoup plus complexe lorsque ces derniers sont dispersés. Al-Marj et plusieurs autres municipalités ont doublé les horaires de leurs écoles municipales pour scolariser les enfants syriens. En 2015, 160 000 enfants syriens suivaient des cours dans les écoles publiques libanaises, et 90 000 étaient inscrits dans des écoles privées, selon le HCR. Il s’agit là de couts supplémentaires très importants pour les municipalités (Cochez P, 2016 ; Haddah E, 2015 ; Léon C. & Abdallah R., 2017)
Dans les municipalités qui n’acceptent pas les camps, les Syriens sont soit recueillis par des habitants, soit ils louent un appartement à un propriétaire libanais, soit ils dorment dans la rue, dans des immeubles ou des caves abandonnées ou forment illégalement des petits campements informels et insalubres où les conditions de vie sont très difficiles. Dans la Bekaa, environ 15% des réfugiés habitent dans des bâtiments abandonnés, les campements de tentes sont également nombreux dans cette région frontalière à la Syrie. Ces camps ne respectent pas les normes minimales d’hygiène et de sécurité, les habitations sont faites de matériaux de récupération, de bâches ou de bouts de bois et les incendies ne sont pas rares (Marmouyet F., 2017 ; Abgrall T., 2013 ; Loveless J, 2013).
Certaines municipalités mènent la vie dure aux Syriens, limitant leurs déplacements par l’instauration de couvre-feu, évacuant leurs campements, voire même en déployant des milices locales. Human Rights Watch dénonce au moins 45 municipalités appliquant des couvre-feux à la population syrienne installée au Liban et regroupe de nombreux témoignages de Syriens ayant subi des violences par des milices armées arpentant les rues (HRW, 2014). L’application d'un couvre-feu n’a pas de fondement légal au niveau national et les municipalités locales n’ont en principe pas le droit d’empiéter sur les forces de sécurité de l’État libanais, les multiples témoignages indiquant le contraire sont donc alarmant et démontre à quel point les municipalités agissent en dehors du cadre légal et sans en être inquiétées. La maire de Bikfaya, ville 20 000 d’habitants proche de Beyrouth, a mis en place un décret autorisant uniquement les Syriens travaillant sur sa commune à y résider (Cochez P., 2016). De même à Ehden, villégiature estivale des Libanais, la municipalité interdit la présence des Syriens sans raison professionnelle valable ni employeur attitré (Albaster O., 2016). Les Syriens sont régulièrement les cibles de violences, d’insultes et d’attaques injustifiées que ce soit par les civils ou par les autorités (Haddad E., 2017 ; AFP, 2016 ; Léon C. & Abdallah R., 2017).
Conséquences sur la population locale
Les conditions de vie très dures des réfugiés syriens s’accompagnent également d’une baisse du niveau de vie global de la population libanaise. L’arrivée de cette population démunie prête à travailler à moindre coût a fait chuter les salaires. La concurrence sur le marché locatif s’est également fait sentir avec des familles syriennes désespérées prêtes à payer des loyers bien plus chers pour mettre leurs familles à l’abri. Le coût de la vie augmente pour l’ensemble de la population et le travail se fait plus rare et plus compétitif. Dans ce contexte, beaucoup de Libanais souhaitent le départ des réfugiés syriens et craignent que la situation ne perdure.
En bilan
C’est bien au niveau municipal que la majeure partie des décisions susceptibles de bouleverser la vie des réfugiés syriens est prise. On observe une diversité dans les orientations prises par les politiques municipales au travers du pays. Certaines ont décidé de s’allier aux organisations internationales pour accueillir les réfugiés et ainsi profiter des aides et subventions disponibles pour développer leur territoire, tandis que d’autres ont protégé leur marché du travail et de l’immobilier en n’acceptant que les Syriens capables de travailler dans leur municipalité. Il est difficile de dire avec les informations disponibles si l’une ou l’autre de ces stratégies serait plus bénéfique au territoire, mais en tout cas il faut souligner le travail de ces municipalités, qui déjà avant le conflit syrien connaissaient des situations socio-économiques difficiles, qui sont livrées à elles-mêmes et tentent de faire face à un afflux de réfugiés comme on en a rarement connu dans les pays du Nord. La croissance démographique forte des municipalités pèse sur les infrastructures, les équipements et les services, attisant les tensions communautaires sans que le gouvernement ne fournisse d’aide supplémentaire.
Mis en ligne le 30 août 2017.
Par Adèle Boucher.
Ci-joint la version intégrale pdf.