Politique nationale de gestion des réfugiés syriens en Turquie
Contrairement à ses homologues jordaniens et libanais, la Turquie est signataire de la Convention de Genève de 1951 et du Protocole de 1967 relatif au statut des réfugiés. Cependant, à la signature de ces deux traités, elle a maintenu une limitation géographique qui stipule que ces traités ne s’appliquent qu’aux individus déplacés suite à des évènements survenus en Europe. La Turquie considère donc que les personnes fuyant les pays du Moyen-Orient ne sont pas reconnues comme des réfugiés et ne peuvent demander un permis de séjour permanent dans le pays.
L’exception syrienne
Avec l’arrivée de centaines de milliers de Syriens, il a été nécessaire d’adapter la législation nationale : le gouvernement a d’abord mis en place un système de protection temporaire des Syriens en avril 2011, les faisant passer du statut d’ « invités » (tout Syrien munit d’un passeport pouvait rester librement trois mois sur le territoire turc) au statut de « protection temporaire » empêchant ainsi leur refoulement à la frontière. La loi sur les étrangers et la protection internationale (LEPI) adoptée en 2013 définit la protection internationale et la protection temporaire, ainsi que les cadres juridiques entourant la rétention administrative et les procédures. Cette même loi permet la création de la Direction Générale de la Gestion Migratoire (DGGM), institution sous mandat du Ministère de l’Intérieur, en charge des questions relatives à l’asile et à la migration. Cette direction travaille surtout à l’enregistrement des réfugiés vivant hors des camps. Enfin, la Régulation sur la Protection Temporaire (RTP), du 22 octobre 2014, fournit les détails encadrant la protection des personnes sous le régime de la protection temporaire (REMDH, 2011).
Le statut des Syriens en Turquie est donc temporaire, ils sont autorisés à rentrer sur le territoire et à faire une demande d’asile dans un autre pays. Pour effectuer cette demande d’asile, ils doivent s’enregistrer à la fois auprès des autorités turques et auprès du HCR, ils sont alors considérés comme des « demandeurs de protection internationale » jusqu’à temps que leur demande soit traitée et qu’ils puissent être réinstallés dans un autre pays que la Turquie. Dans les faits, la majorité des réfugiés ne sont pas réinstallés dans un pays tiers (Canada, États-Unis ou Europe), car les quotas sont très faibles par rapport au nombre d’enregistrements (moins de 10 000 places disponibles chaque année). Ce statut temporaire leur permet d’obtenir aide et assistance, de vivre dans un des camps de réfugiés du pays ou de résider avec leur famille turque s’ils en ont ou de manière indépendante dans une des municipalités du pays. En janvier 2016, le gouvernement turc a autorisé les Syriens à demander des permis de travail, ce qui n’était pas possible avant cette date et contraignait beaucoup de réfugiés à travailler dans le secteur informel, mais ces permis sont difficilement accordés et seulement 10 000 Syriens en avaient obtenu un à la fin de l’année 2016 (Migreurop, 2016 ; Boluk G. & Erdem S., 2016).
Durcissement de la politique d’accueil et pression de l’Union Européenne
La Turquie, qui dès 2011 a pris l’exclusivité de la réponse humanitaire envers les réfugiés syriens de manière très organisée et en refusant l’intervention et l’aide financière des organismes internationaux (notamment européens) a dû, au vu de la longévité de la crise, revoir sa position sur la scène internationale. L’exode migratoire toujours plus important de l’année 2015 et 2016 a poussé le pays à conclure plusieurs accords avec l’Europe pour stopper le flux migratoire vers l’Europe. Un Plan d’action conjoint a été signé entre l’UE et la Turquie, en octobre 2015, suivi d’un nouvel accord pour endiguer l’immigration irrégulière depuis la Turquie vers l’UE, le 18 mars 2016. Cet accord indique que tous les migrants irréguliers arrêtés en Grèce en provenance de la Turquie seront renvoyés en Turquie, pour chaque renvoi un réfugié syrien pourra être réinstallé en Europe. De plus, la Turquie s’engage à renforcer le contrôle des frontières et à empêcher la création de nouvelles routes de migration irrégulières tandis que l’Union Européenne s’engage à verser trois milliards d’euros pour aider les réfugiés installés en Turquie (Boluk G. & Erdem S., 2016).
Les camps de réfugiés en Turquie
La politique turque d’accueil et d’installation des réfugiés s’est tournée vers le modèle des camps. En 2011 on dénombre six camps opérationnels, 14 en 2013 et pas moins de 26 en 2016 répartis dans 10 régions le long de la frontière turco-syrienne. Ces camps suivent les directives du HCR, mais sont gérés par la présidence de la gestion des catastrophes et des crises (AFAD) en coopération avec le Croissant Rouge turc. Les camps en Turquie sont en général bien équipés et bien gérés, on y trouve par exemple les biens de première nécessité : de l’eau potable, des douches et toilettes, la distribution de repas chaud, mais également des loisirs tels que des terrains de sport, des écrans de télévision, des aires de jeux pour les enfants, des cours de formation professionnelle et des professeurs pour enseigner la langue turc. Une importante organisation humanitaire turque l’IHH ou l’ « İnsani Yardım Vakfı » (qui signifie littéralement « fondation pour l’aide humanitaire »), est très active dans les camps de réfugiés et participe notamment à apporter des fruits, des légumes, des vêtements et autres fournitures. Bien sûr, la qualité de vie d’un camp à un autre varie énormément, mais globalement il ressort que la Turquie a démontré une meilleure capacité que ses voisins libanais et jordanien dans la gestion des camps et cela avec très peu d’aide internationale (UCLG, 2013 ; Saliba-Couture C., 2016 ; Boluk G. & Erdem S., 2016).
Entre 2011 et 2013 la plupart des réfugiés syriens étaient installés dans des camps. Cependant, à partir de 2014, la capacité des camps devient insuffisante et les conditions de vie se détériorent en même temps que les infrastructures, ce qui pousse les réfugiés à s’installer dans les zones urbaines où ils peuvent espérer trouver un logement et un emploi. Les régions frontalières telles que Hatay ou Gaziantep sont particulièrement touchées par cet afflux de population réfugiée.
En bilan
Malgré l’absence de véritable politique sur le statut des réfugiés du Moyen-Orient et le refus de la Turquie d’être un pays d’asile pour les Syriens, le pays a su répondre très vite à la crise syrienne, d’abord dans l’urgence puis sur le long terme. Le pays a mis en place un certain nombre de traités et de circulaires permettant aux Syriens d’acquérir les mêmes droits et services prévus par la Convention de Genève de 1951. Tout réfugié enregistré en Turquie a un accès gratuit aux services de santé, à l'éducation et, plus récemment, a le droit d’acquérir un permis de travail. Le pays a largement démontré sa capacité à gérer des situations de crises et sa générosité en maintenant pendant plusieurs années ses frontières ouvertes. Cependant, les années passant, le pays commence à atteindre ses limites en termes de ressources et d’infrastructures. Les municipalités sont mises à rude épreuve et malgré la solidarité dont fait preuve la population, des tensions commencent à naitre entre habitants et réfugiés. Le pays se voit contraint de demander de l’aide aux institutions internationales et de durcir le contrôle à ses frontières.
Mis en ligne le 30 août 2017.
Par Adèle Boucher.
Ci-joint la version intégrale pdf.