Politique municipale de gestion des réfugiés syriens en Jordanie
On dénombre 205 municipalités en Jordanie, instituées par la loi municipale, elles sont constituées d’un conseil municipal formé par des membres élus lors des élections et des membres nommés par le Ministère des Affaires Municipales et Rurales. Elles ont quelques compétences limitées dans les services publics communaux (l’entretien des chaussées, l’éclairage public, le contrôle sanitaire des restaurants, les bibliothèques publiques, etc.). Les collectivités locales jordaniennes disposent de peu de ressources financières propres et font face à un déficit budgétaire important. De plus, malgré une volonté affichée de mettre en place une décentralisation politique et fiscale du gouvernement vers les municipalités, ces dernières sont soumises à un fort contrôle des autorités centrales. Le Ministère des Affaires Municipales et Rurales contrôle la mise en œuvre des lois et réglementations sur les collectivités locales telles que le zonage, les constructions et services ruraux, l’établissement et la maintenance de services ruraux, etc. (Georges M., 2014).
Le poids des réfugiés urbains sur les municipalités
Bien que la Jordanie mène une politique de gestion des réfugiés via des camps d’accueil, beaucoup de Syriens préfèrent s’installer hors des camps et particulièrement dans les villes où ils peuvent tenter de trouver du travail. L’impact pour les municipalités jordaniennes est très important, leurs services doivent répondre à une demande de plus en plus grande alors que leurs budgets sont limités.
À Mafraq, où le camp de Zaatari a été implanté, la pression sur les services de la ville est immense. Le principal problème est la gestion des déchets solides qui ont augmenté de 100 tonnes par jour. « Avant l’afflux de réfugiés, les camions transportaient 80 tonnes par jour, aujourd’hui ils en transportent 185. Notre impression est que les rues de la ville de Mafraq sont pleines de déchets. » (UCLG, 2013). Cette quantité de déchets non traitée pourrait risquer de contaminer les puits d’eau souterrains de la région d’autant qu’il n’y a pas de système d'égouts dans le camp de Zaatari. À cela s’ajoute une augmentation du prix des loyers et une surpopulation dans les écoles où les classes sont passées de 30 à 50 élèves. Dans la municipalité d’Irbid où 30% de la population est syrienne, les déchets solides sont passés de 400 à 550 tonnes, les loyers ont augmenté de 250 à 400 dinars et 12 000 nouveaux élèves syriens se sont ajoutés aux classes (UCLG, 2013).
Les municipalités jordaniennes ont peu de pouvoir et peu de moyens, elles sont pour la plupart dépassées par la demande et la pression démographique des villes qui s’accroissent au fur et à mesure des arrivées de réfugiés.
Conséquences pour la population syrienne et jordanienne
La situation en Jordanie est très difficile pour les Syriens comme pour les Jordaniens. Human Rights Watch annonce que « 86 % des demandeurs d’asile syriens en Jordanie vivent dans la pauvreté ». Les conditions de vie dans les camps de réfugiés syriens sont déplorables, il y a des pénuries d’eau fréquentes, des problèmes de santé liés aux déchets et aux mauvaises conditions sanitaires, beaucoup d’enfants syriens sont déscolarisés (HRW, 2016). La criminalité s’installe également dans les camps où on observe la formation de gangs. Pourtant les camps continuent de grossir avec des réfugiés venant de plus en plus loin en Syrie (UCLG, 2013).
En ville la population se paupérise, l’arrivée des Syriens a fait baisser les salaires et augmenter les loyers, la concurrence sur tous les marchés est plus forte. Dans le même temps, les services sont soumis à plus de pression, les ressources viennent à manquer. « Dans certaines villes frontalières comme Mafraq ou Irbid, les loyers ont augmenté jusqu’à 300%. Les prix des produits de base (riz, sucre, carburant) ont explosé et conduisent à une paupérisation croissante de la société. Le taux de chômage est à la hausse (14% en 2013), et frappe surtout les femmes (22%) et les jeunes (30% pour les 15-24 ans). Enfin, les coupures d’eau et d’électricité deviennent quotidiennes dans certaines villes. » (Younes I., 2014). La Jordanie est un des pays les plus pauvres en eau douce du monde, pourtant elle doit réussir à fournir 3 000 mètres cubes d’eau douce tous les jours au camp de Zaatari. L’inquiétude de la population grandit à l’approche de chaque été de subir une pénurie d’eau. En 2008, le Ministère de la Planification jordanienne annonçait un taux de pauvreté (fixé à 3,20 dollars par jour) de 13,3%, en 2010 il est à 14,4% (Younes I., 2014).
Dans ce contexte les tensions entre réfugiés syriens et habitants se font sentir et certains mouvements politiques tels que les Frères musulmans profitent de la colère de la population pour déstabiliser le pouvoir. La dégradation des conditions de vie risque de pousser les individus (autant syriens que jordanien) vers un repli identitaire et le recours à un islamisme radical. Après plusieurs années d’entraide et de générosité, le pays semble aujourd’hui plus que jamais au bord de la rupture (Younes I., 2014 ; AFP, 2016).
En bilan
On ne peut pas réellement parler de politique municipale en Jordanie, car les municipalités locales ont peu de marge de manœuvre et sont soumises à un contrôle fort du gouvernement. Les municipalités ne peuvent mettre en place des réglementations spécifiques pour gérer l’accueil des réfugiés comme le font les municipalités du Liban, elles tentent simplement de maintenir l’accès aux services de bases, mais à cause de leurs petits budgets elles sont souvent dans des situations très difficiles ce qui évidemment impacte la population locale. Les municipalités se sentent souvent abandonnées par leur propre Ministère des Affaire Municipales, mais aussi par les organisations non gouvernementales qui viennent en aide aux réfugiés, mais n’interviennent pas auprès des municipalités parfois tout autant dans le besoin (UCLG, 2013).
Mis en ligne le 30 août 2017.
Par Adèle Boucher.
Ci-joint la version intégrale pdf.