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Politique municipale de gestion des réfugiés syriens en Turquie

La Turquie a mis en place depuis 2004 des réformes de « décentralisation » visant à réorganiser les tâches et les relations entre l’État et ses collectivités locales. Ces dernières ont acquis plus d’autonomie et de compétences (bien que ce processus de décentralisation n’est pas comparable à ce qu’on a connu en Europe) ce qui leur permet de répondre efficacement à l’afflux de réfugiés urbains sur leurs territoires.

 

Les services des collectivités locales et leurs besoins

 

La culture turque donne beaucoup d’importance à la collectivité et l’accueil, la solidarité et la générosité sont des valeurs particulièrement valorisés chez les Turcs. Cet engagement culturel envers son prochain permet de comprendre l’incroyable générosité dont ont fait preuve les municipalités et leurs habitants envers les réfugiés de Syrie. De nombreuses familles ont volontairement adopté une famille venant de Syrie, l’aide qu’elles leur apportent varie en fonction de chaque cas (le logement gratuit, l’aide alimentaire, le réconfort …), mais démontre bien la solidarité dont fait preuve la population locale (UCLG, 2013).

 

Les municipalités ont pu bénéficier de l’aide de l’AFAD dans la gestion des camps et de celle de la DGGM pour organiser l’enregistrement au niveau local des réfugiés. De plus, les autorités locales ont mis en place des centres de ressources dans les municipalités afin d’enregistrer et de diriger les réfugiés vers les services dont ils ont besoin. C’est souvent sans aide internationale que les municipalités turques ont organisé, avec l’appui de fondations religieuses, de donateurs privés et d’ONG locales, une assistance matérielle pour compléter l’aide déjà offerte par l’État. « Pour donner un exemple, à Istanbul, les municipalités de la région de Marmara se sont réunies pour développer des réseaux de compétences, d'échanges de leçons apprises, de services de référence et de politiques sociales ciblées pour une population syrienne urbaine estimée à... 500 000 personnes ! » (Saliba-Couture C., 2016).

 

L’union des municipalités de Turquie est une association bien établie qui aide les municipalités dans la gestion des réfugiés et sert d’intermédiaire entre les municipalités pour mettre en place des actions conjointes. Elle dispose également d’un centre spécialisé sur le thème de la préparation et la réponse aux situations de crises (UCLG, 2013).

 

Les besoins des municipalités sont très divers et dépendent de nombreux facteurs (stabilité économique, nombre de réfugiés sur le territoire, proximité avec la frontière, etc.), mais globalement les autorités locales font face à la crise et sont bien soutenues par le gouvernement, cependant l’installation de plus en plus pérenne des réfugiés tend à impacter négativement l’économie des municipalités et le niveau de vie des habitants. Les infrastructures vieillissent et les équipements matériels s’épuisent. De plus en plus de camps informels de réfugiés se forment aux abords des centres-villes turcs comme à Adana ou à Kilis.

 

Pression économique locale ou accélérateur de croissance ?

 

Dans un pays aussi grand que la Turquie, il est difficile de n’avoir qu’un seul point de vue sur l’impact de l’installation des réfugiés dans les municipalités turques. En effet, certaines régions s’en sont beaucoup mieux sorties que d’autres, les situations économiques des collectivités locales suite à la crise syrienne sont très contrastées.

Certaines régions ont souffert d’une mauvaise publicité qui a fait fuir les touristes. C’est le cas de la station balnéaire de Bodrum où a été retrouvé le corps d'Aylan Kurdi, cet enfant syrien de 3 ans mort noyé dans la Méditerranée en tentant de rejoindre l’Europe puis le Canada. La photo de son corps sans vie a fait le tour du monde et provoqué les critiques accusant notamment la ville de profiter le jour du tourisme de luxe sur ses plages et de laisser agir la nuit les passeurs et les trafics en tout genre (Delvapo A., 2015).

Au contraire, certaines villes turques ont profité d’un regain de croissance avec l’arrivée des réfugiés syriens. À Gaziantep, il y a plus de 300 000 Syriens pour une population locale de 2 millions d’habitants. Cette ville, très proche de la frontière, était très ouverte sur la Syrie et l’Irak, autrefois elle était même prénommée « Petite Alep ». C’est donc naturellement que beaucoup de Syriens sont venus s’y installer au début du conflit et ces derniers, loin de vivre sur la charité des Turcs, ont décidé de continuer leur travail en Turquie, apportant leurs savoir-faire et leurs ressources. Dans les premières années suivant le début de la guerre, la ville de Gaziantep ressent tout de même la crise, ses exportations s’effondrent de 12% en 2011 et de 69% en 2012. Mais elles croissent de nouveau en 2013 et, en 2014, elles dépassent les niveaux des années précédant 2011. Cette croissance Gaziantep la doit directement à l’arrivée des réfugiés syriens (Delvapo A., 2016). « Les réfugiés syriens sont en train de devenir des acteurs économiques en Turquie, non seulement en tant que force de travail, mais aussi en raison de leur esprit d’entreprise. Le nombre d’entreprises fondées par les Syriens a été multiplié par 40 entre 2010 et 2015 (Ozpinar et al., 2015). Environ 3 300 entreprises ont été créées pendant cette période. Sur les 2 395 sociétés à capitaux étrangers enregistrées dans la première moitié de 2015, 750 appartiennent à des Syriens. » (Boluk G. & Erdem S. page 2, 2016).

 

Il faut tout de même noter que, comme ses voisins libanais et jordaniens, la population turque a connu, dans les villes fortement touchées par l’arrivée de Syriens, une baisse des salaires et une hausse des loyers. Les Syriens cherchent à survivre et acceptent depuis cinq ans les salaires les moins bien payés, dans l’agriculture, la construction ou d’autres travaux difficiles. Ce phénomène assez classique d’installation d’une population désœuvrée prête à travailler à n’importe quel prix a toutefois moins ébranlé le pays qu’au Liban ou en Jordanie, car l’économie turque est solide, les échanges avec la Syrie ne représentaient pas une grosse perte économique due aux importantes taxes imposées aux produits turcs et le taux de chômage dans le pays était relativement bas au début de la crise (UCLG, 2013). Les municipalités du Sud ont dû gérer de gros problèmes socio-économiques du fait de l’inadéquation de leurs infrastructures et des tensions que peuvent représenter un nombre important de nouveaux arrivants, le tout avec un budget limité (Boluk G. & Erdem S., 2016).

 

En bilan

 

Les municipalités les plus touchées par le flux de réfugiés syriens sont situées dans les régions frontalières de la Syrie. Ces dernières ont répondu efficacement à la crise syrienne en s’appuyant sur les ressources et l’aide locale, mais même si elles étaient bien préparées à cette crise, elles commencent après six ans de conflit à montrer des signes de fractures. Des tensions apparaissent au sein de la société turque après plusieurs années d’effort et d’accueil. Les municipalités hôtes ainsi que les réfugiés eux-mêmes appellent désormais à un mouvement de solidarité internationale et au partage du fardeau de la Turquie. Il existe désormais de plus en plus de campements informels autour des villes turques pour les réfugiés qui ne savent plus où s’installer.

Mis en ligne le 30 août 2017.

Par Adèle Boucher.

Ci-joint la version intégrale pdf.

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